Autriche, République Tchèque et Pologne : cap au Nord

La passage en Autriche se fait tout en douceur, toujours le long du Danube. Seules les maisons allemandes colorées qui cèdent la place aux chalets de montagne autrichiens nous indiquent petit à petit que nous avons changé de pays. Nous n’avons même pas vu le panneau à la frontière, c’est dire.  L’Autriche, c’est un savoureux mélange d’Allemagne et d’Italie. Tout aussi coquette et ordonnée que sa voisine allemande avec une pointe de kitsch et de gourmandise à l’italienne. Les bretzels disparaissent des boulangeries mais nous les remplaçons vite par les escalopes viennoises, les gaufrettes au praliné et de bonnes glaces italiennes artisanales.

L’amour du vélo des pays germaniques continue de nous rendre la vie facile et pratique. Le bitume des pistes cyclables est lisse comme un billard, les chiens autrichiens, comme leurs congénères allemands, n’aboient jamais à la vue d’un vélo (véridique) et des barres en métal sont installées aux feux tricolores pour que les cyclistes puissent se tenir et n’aient pas à poser pied à terre, délicate attention.

Le Danube, dont les eaux ont délaissé leur couleur brune à Passau pour revêtir un beau vert scintillant, s’anime peu à peu. Si en Allemagne, le fleuve était extrêmement calme, seulement rythmé par la présence de barrages hydroélectriques, en Autriche, le fleuve prend vie. Nous voyons défiler bateaux de plaisance et de croisière, péniches et barges commerciales. Des marinas apparaissent le long du fleuve ainsi que des plages où les Autrichiens se baignent.

Après avoir contemplé l’eau, les champs et les forêts à longueur de journée pendant si longtemps, l’arrivée dans Vienne est quelque peu brutale. Des pierres, des colonnades, des statues, des sculptures, des voitures, des tramways, des panneaux, des affiches, des boutiques, des touristes, des calèches, des appareils photos, partout. Partout, partout. Nous trouvons refuge en fin de journée dans la paisible Villa Klimt, peu prisée des touristes. La visite d’une capitale est finalement plus fatigante pour nous qu’une journée de vélo. Bien sûr la ville est magnifique et nous y flânons avec beaucoup de plaisir. On s’instruit, en redécouvrant l’histoire de la ville et ses figures emblématiques : les Habsbourg, le Saint-Empire Romain Germanique, l’Empire Austro-hongrois, Sissi l’Impératrice, le Congrès de Vienne, Haydn, Mozart, Schubert, Freud, Klimt, l’Anschluss, etc. Pour fêter notre trentième jour de voyage, avant notre départ de Vienne, nous avons rendez-vous à l’Hotel Sacher, pour des massages plus que bienvenus offerts par mes anciens collègues. Je m’adresse au portier, qui appelle le concierge, qui fait venir le voiturier. Nous sommes accueillis à coups de “Please follow me Misses Colin” et de “This way Mister Colin” :-). Le luxe du lieu nous change du confort spartiate de nos bivouacs. Notre tandem n’avait jamais mis les roues sur un trottoir aussi somptueux. Trop grand pour le garage à vélos, il recevra un traitement de faveur et sera gardé par le voiturier de l’hôtel ! C’est donc l’estomac bien plein et les quadriceps comme neufs que nous quittons le moelleux des banquettes et des peignoirs 5 étoiles pour trouver un coin de bivouac au Nord de Vienne. Le contraste est grand mais nous sommes heureux de retrouver le calme et la nature. Et bien sûr, nos amis araignées, fourmis, guêpes, moustiques, escargots, limaces, etc.

Puis, c’est le changement de cap, virage à 90°, direction plein Nord. Auf Wiedersehen Donau ! Mais le relief du Nord de Vienne et de l’Est de la République Tchèque nous fait vite regretter les plaines du Danube. Nous montons pour mieux descendre, dévalons les pentes pour mieux devoir grimper. C’est épuisant et nous avons la sensation de ne pas avancer.

Nous traversons des villages dont les artères principales sont bordées d’un continuum de maisons, des cubes gris et bruns, percés de fenêtres s’enchaînent sans discontinuer. Ici on fait fonctionnel, pratique, solide. Pour le beau, on repassera. Après la netteté allemande et autrichienne, les villages tchèques, du moins ceux que nous voyons à l’Est du pays, semblent presque abandonnés, négligés, livrés à eux-mêmes. Peintures écaillées, crépis lépreux, canalisation apparentes, imbroglio de fils électriques, paraboles et antennes tous azimuts, trottoirs défoncés sont le décor dans lequel vivent des Tchèques réservés et impassibles. Nous aurons peu de contact avec les Tchèques ; les seuls avec qui nous parlons sont les vendeurs d’abricots et de champignons le long des routes.

Terminées les pistes cyclables germaniques, véritables autoroutes, théâtre d’un incessant chassé-croisé de vélos de course et de voyage, de casques fuselés et de collants fluos. Ici, le concept de piste cyclable est assez peu répandu. Et quand piste cyclable il y a, mieux vaudrait être équipé d’un bon VTT.

La République Tchèque nous régale de magnifiques forêts de hauts pins aux troncs rougeâtres qui offrent des bivouacs de rêve durement mérités, car le pin aime le sable…

La frontière polonaise met fin comme par enchantement au supplice du relief. Nous entrons dans le pays en roue libre et retrouvons enfin la sensation de ne pas avoir à lutter constamment pour avancer. Loin des routes surchargées de camions et criblées de nids de poule que j’avais imaginées, les routes sont en fait calmes et plutôt en bon état, et les automobilistes polonais prudents. Un programme national de réfection des routes et trottoirs semble en cours. Nous sommes, à plusieurs reprises, les premiers à inaugurer des portions de macadam tout frais. En revanche, les quelques pistes cyclables que nous rencontrons sont soit pavées, soit constituées de dalles de béton espacées les unes des autres de quelques centimètres. Il n’y avait visiblement pas d’amateurs de vélo dans l’assemblée qui a pris cette décision fâcheuse pour les arrière-trains de cyclistes.

Nous ressentons le changement de pays avec netteté. Outre, l’absence de relief, la Pologne nous offre un visage jovial, avenant, enthousiaste, jamais indifférent. En Pologne, les mains s’agitent, les sourires se fendent, les mâchoires tombent, les yeux s’écarquillent, les pouces se lèvent, les klaxons retentissent, les “bravo” tonnent à nos oreilles le long de la route. On nous prend en photo, on vient nous serrer la main, on regarde les kilomètres au compteur. On nous félicite et nous encourage en polonais. Ou alors on nous traite de fous. Nous ne le saurons jamais. Les chiens polonais, eux, aboient et courent après les vélos. Heureusement pour nos mollets la plupart d’entre eux sont attachés ou enfermés. Partout, les gens sont intrigués par notre remorque, nous demandent si nous transportons un chien, un bébé ou bien un frigo pour les bières. Un jour, en Autriche, on ose même nous demander si nous ne tirons pas là-dedans “der Motor”. Nein nein nein !!! Nous nous offusquons et répétons “Motor” en nous frappant les cuisses.

Cette traversée du Sud au Nord de la Pologne sera une alternance de hameaux, de champs, de fermes, de chapelles et de crucifix. Les maisons et jardins sont soignés. Chaque fenêtre de chaque maison est ornée de rideaux blancs. Les longueurs, les drapés, les tombés, les motifs varient, mais partout, dentelles et voilages blancs. Je découvre avec bonheur que les Polonais décorent leur jardins avec des objets de récupération. Des pneus usés deviennent des bacs à fleurs en forme de cygnes. Si si. Il fallait y penser ! J’adore les Polonais.

Nous ferons halte à Wielun, première ville bombardée par la Wehrmacht lors de la seconde guerre mondiale, le 1er septembre 1939. La ville sera complètement détruite. Nous serons hébergés chez Maciek qui nous parle d’un pays aux frontières malmenées, annexé, envahi, détruit, occupé. Il nous parle d’un pays aux frontières nouvelles, mais dont le peuple a su conserver sa force et son caractère, d’un pays où le souvenir de la guerre est encore bien présent.

Nous nous arrêtons également dans la jolie ville de Torun, touristique et bondée. Pour nos yeux et nos oreilles habitués au calme, les stimulations visuelles et sonores sont une véritable agression. Au bout d’un quart d’heure, un terrible mal de tête s’installe. J’ai bien peur que le diagnostic ne se précise : nous sommes devenus des sauvages.

Nous clôturons notre folle remontée de la Pologne (plus de 600 km en 6,5 jours) par une pause dans la magnifique Gdansk, ou Dantzig lors des occupations prussienne et allemande. Les hautes maisons, étroites et colorées de styles baroque et flamand sont la particularité de la ville également célèbre pour ses chantiers navals et le travail de l’ambre, dont un abondant gisement se trouve en mer Baltique. Trois jours de pluie sans interruption pendant lesquels nous gérons les formalités administratives d’obtention des visas russes, faisons l’acquisition de nouveaux kway, vraiment étanches cette fois-ci, nous occupons de l’entretien du vélo et visitons la ville que la pluie a (un peu) vidée de ses touristes.

Je profite également de cette pause pluvieuse pour terminer la lecture des aventures à vélo autour du monde de Sylvain Tesson et de son ami Alexandre Poussin. Ce livre est un condensé de ce que nous ne ferons pas pendant ce voyage : dormir chez un trafiquant d’armes, faire des pointes à 85 km/h sans casque, traverser une frontière sans visa caché dans le coffre d’une voiture, enchaîner les cols tibétains à plus de 5000 mètres d’altitude, pédaler malgré les tempêtes de sable, s’accrocher aux camions pour aller plus vite, continuer à pédaler après avoir choppé l’hépatite E, et j’en passe. À ceux qui disent que nous sommes fous, je recommande la lecture de ce livre, On a roulé sur la Terre.

Notre sésame en poche, un visa russe double entrée pour raisons “humanitaires et culturelles” (seul moyen pour nous d’obtenir un visa valable 3 mois), nous renfourchons notre tandem en direction de la Russie en méditant le premier conseil que nous venons de recevoir : “With roubles, you can buy anything. But with dollars you can buy anybody.” Le ton est donné.

 

Comme d’habitude, retrouvez toutes nos photos sur flickr !

9 commentaires sur « Autriche, République Tchèque et Pologne : cap au Nord »

  1. Un grand merci à tous les deux pour ce texte encore si passionnant Mathilde et pour toutes ces belles photos Victor qui nous font rêver ! Bravo et nous ne doutons pas des magnifiques paysages que va vous offrir maintenant la grande Russie ! Gros bisous.

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    1. Merci pour votre message qui nous fait très plaisir 🙂 Je tiens juste à préciser que, contrairement à ce que peut laisser penser la photo de profil flikr, c’est bien Mathilde qui fait 90% des photos en plus du blog… Je m’occupe de la route… !

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  2. CANON votre blog et vos photos… Bon séjour en Russie 🙂 Si vous passez par Saratov tenez-moi au courant j’ai une adresse à vous donner !!!

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    1. Merci Clément ! D’après Google le transsibérien ne passe pas par cette ville donc ce sera pour une prochaine fois… Ça a l’air joli !

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  3. Bonsoir,
    Pour nous qui avons été des ex routards (pas en vélo), c’est un réel plaisir de vous suivre, ça nous fait non seulement rêver mais nous donne une folle envie de repartir voyager à travers le monde ou aussi partir faire des périples en vélo en France ou ailleurs.
    On partage les avis des autres, les photos sont de toute beauté et bravo pour l’écriture, on a laissé tombé nos livres de chevets…
    Bon vent pour la suite, par contre je ne sais pas comment vous allez vous y prendre pour virer Poutine, peut être le surprendre…
    Aline et Bernard LARRANDABURU, amis de Jean-Paul et Martine

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  4. Bientôt 2 mois et que de chemin parcouru ! Bravo les Enfants ! Vous nous faites rêver avec vos photos et vos récits magnifiques : nous avons vraiment l’impression d’être sur la selle ou plutôt dans la remorque (c’est moins fatigant !:-)
    Soyez heureux et faites attention à vous. On vous embrasse très fort.
    Colette et Jean

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