De Hong Kong à Guilin : nos débuts en Chine

Après une nuit blanche à l’aéroport d’Oulan Bator et 4h30 de vol, nous sommes assaillis par la chaleur et l’humidité hongkongaises. Cet épisode aérien nous a fait perdre ce que nous aimons tant dans notre façon de voyager : la lenteur, la continuité et la douceur des transitions. Tant pis, ce sont les aléas du voyage, nous nous y étions préparés. Et les frileux que nous sommes ne sont pas mécontents d’éviter quelques semaines de froid supplémentaires dans le Nord de la Chine. Victor est fou de joie de retrouver la moiteur des tropiques, les cocotiers et ses chères claquettes. Le contraste en venant de la Mongolie est total. De rase et sèche, la végétation se fait tout à coup omniprésente et luxuriante, même en pleine ville. L’air froid et sec devient chaud et humide. La steppe déserte se transforme en mégalopole bondée ; nous passons sans transition du pays le moins densément peuplé du monde avec à peine 2 habitants au km² à l’un des pays les plus densément peuplés avec plus de 6 500 habitants par km². Composé exclusivement de féculents, de laitages et de mouton en Mongolie, notre régime alimentaire se transforme en cure de fruits et légumes. Finalement, ce grand saut dans l’espace a du bon !

Dans nos imaginations, Hong Kong était une terrifiante forêt de gratte-ciel, un sanctuaire de la finance débridée, un temple de la consommation où pullulent les centres commerciaux, un labyrinthe de tunnels, d’autoroutes et d’échangeurs à donner le tournis. C’est vrai. Mais pas que. Si c’est majoritairement le cas de la ville de Hong Kong, ça ne l’est pas pour le pays dans son ensemble qui compte de nombreuses îles, forêts et montagnes. Nous serons hébergés chez Jacques et Chloé, un couple de Français fort sympathiques qui en plus de nous apprendre beaucoup de choses sur Hong Kong, nous la rendent plus accessible et moins effrayante.
Nous déambulons dans les vieilles rues de la ville, nous frayons un chemin sur les trottoirs de Mong Kok, le quartier le plus densément peuplé de la planète, marchons de nuit dans des rues que les néons multicolores rendent plus lumineuses qu’en plein jour. Nous traversons le marché aux oiseaux où les collectionneurs exposent fièrement leurs volatiles et les font chanter, le quartier des antiquaires, le quartier du poisson séché où l’on peut malheureusement acheter des ailerons de requin et flânons dans des temples embaumant l’encens dont d’immenses spirales se consument au-dessus de nos têtes. Nous empruntons le Star Ferry, bateaux qui assurent la liaison entre l’île de Hong Kong et le continent depuis 1888, les minuscules rames de l’unique ligne de tramway dans lesquelles Victor ne peut pas se tenir debout, les bus à deux étages aux airs très londoniens, d’autant plus que l’on roule à gauche dans cette ancienne colonie britannique, le métro, parce que ça nous manquait c’est quand même pratique, et bien sûr, nous évitons le vélo. Nous prenons également de la hauteur et contemplons les lumières de la ville à la nuit tombée depuis le dernier étage d’un gratte-ciel. Il paraît que la ville est plus belle de nuit que de jour, quand l’obscurité gomme les couleurs disparates des tours salies et couvertes de climatiseurs. Spectacle impressionnant et pour le moins vertigineux, mais je suis assez insensible aux lumières des néons et des écrans publicitaires.

Heureusement, il est possible d’échapper à la frénésie des rues, aux lumières aveuglantes et à la jungle de verre et de béton. Hong Kong gagnera nos faveurs grâce à ses montagnes, ses forêts, ses îles, ses plages et ses villages de pêcheurs. Nous profitons de ces quelques jours d’attente de nos visas chinois pour randonner. Nous montons au Pic Victoria qui offre une vue imprenable sur les gratte-ciel de l’île de Hong Kong et ceux de Kowloon de l’autre côté de la baie. Sur l’île de Lantau, surmontée d’une statue de Bouddha en bronze de 34 mètres, nous grimpons de nuit, à la frontale, au sommet du Pic Lantau avec Jacques et Chloé qui s’entraînent pour une course. Nous suivons également la crête dite du “Dos du Dragon” qui nous mène jusqu’à un insolite village de surfeurs aux maisons blanches. Nous flânons également sur l’île de Cheung Chau, charmant petit village de pêcheurs coloré dont les restaurants proposent de délicieux fruits de mer et poissons bien frais.

Nous profitons d’être dans une grande ville pour faire faire une copie de la pièce de la remorque qui nous a lâchés en Russie, notre piste à Oulan Bator n’ayant finalement pas abouti. Dans une boutique de vélo, nous nous faisons indiquer l’atelier de Mister Chan. À l’adresse indiquée, nous sautons de joie en apercevant Mr. Chan, tourneur-fraiseur de son état, qui joue du pied à coulisse derrière un tour au fond de son atelier crasseux. À force de mimes mensongers expliquant que nous prenons l’avion le lendemain, je fais passer le délai de fabrication de 4 jours à moins de 24 heures. Mister Chan griffonne le prix de sa prestation à la craie sur un morceau de métal rouillé, nous ne discutons même pas et récupérons notre nouvelle pièce le lendemain matin, comme convenu. Trop fort Mr. Chan !
Nous passons notre dernière soirée à Hong Kong avec Jacques et Chloé dans un restaurant de dim sum, ces petites bouchées farcies typiquement cantonaises et cuites à la vapeur dans des paniers en bambou, mais en général plutôt dégustées au petit déjeuner. Nos visas et notre pièce de rechange en poche, nous prenons un ferry (que nous attrapons de justesse à cause des nombreux escalators, ascenseurs, tourniquets et portillons étroits que nous devons franchir dans l’embarcadère avec des bagages assez peu maniables, et puis peut-être aussi parce que nous sommes partis trop tard) pour la ville de Zhuhai en Chine, afin d’éviter les deux mégalopoles chinoises au Nord de Hong Kong, Shenzhen et Canton, qui comptent respectivement 10,8 et plus de 13 millions d’habitants.

Nous nous élançons donc sur les routes chinoises. Quasiment toutes les routes sont pensées pour les vélos ; il y a souvent un espace sur le bas-côté ou bien une voie entièrement dédiée aux deux-roues. Les automobilistes chinois ont l’habitude de partager la route avec des vélos, scooters électriques et autres deux voire trois-roues lents et chargés. Nous ne nous sentons jamais en danger malgré un code de la route un peu flou. Dans les villes, nous apprenons à évoluer constamment parmi une cinquantaine de scooters. Il n’est pas rare qu’une voiture, un scooter à quatre passagers ou tout autre véhicule improbable roule pendant quelques centaines de mètres à notre hauteur pour mieux nous observer, nous photographier ou nous filmer. Nos trombines en sueur et notre vélo sont actuellement dans les galeries photos d’un bon nombre de smartphones chinois. Quand l’un de nous part faire quelques courses, il retrouve souvent l’autre, resté près du vélo, en train de faire des selfies avec la moitié de la rue ou bien entouré d’une quinzaine de Chinois curieux qui tapotent selles et remorque. Nous constatons que le réflexe de tapotement face à un objet inconnu transcende les frontières. Lorsque nous quittons un restaurant, tout le personnel, cuistos compris, accourt pour assister au départ ! Partout sur notre passage, nous déclenchons sourires et même éclats de rire. C’est d’ailleurs devenu notre grand plaisir sur la route : déclencher l’hilarité d’un simple “hello” ou d’un geste de la main ! Les occasions ne manquent pas puisque tout est ouvert sur la rue et que les Chinois vivent littéralement dehors. Tout se passe devant les maisons, les épiceries, les ateliers, les restaurants, sur une sorte de grand trottoir qui prolonge les bâtiments : on y épluche les légumes, trie des graines, répare les pneus et les moteurs, fabrique des tôles, on y évide des poules, on y coud des vêtements, fait sécher du riz, du piment, des tiges de bambous, on s’y fait couper les cheveux, on y joue aux cartes ou aux dominos, on y mange assis sur des tabourets minuscules, les enfants y courent, les chiens et les poules aussi.

Commander à manger dans les bouibouis et les gargotes devient folklorique. Beaucoup de Chinois, constatant que nous ne les comprenons pas, nous griffonnent des idéogrammes sur leurs calepins… Mais pour nous, ça reste… du chinois ! Pourtant, ils ne conçoivent pas que nous ne sachions pas lire les idéogrammes. En pareille situation, le mieux reste d’aller faire un tour en cuisine. À plusieurs reprises, on m’y entraîne pour me faire choisir les ingrédients. Tandis qu’on me montre toutes sortes de légumes inconnus, j’essaie de ne pas glisser sur les écailles et entrailles de poissons qui jonchent le sol et d’éviter les poulets qui courent dans tous les sens. Je fais mon choix sans trop savoir quel sera le résultat. Les plats qui arrivent sont en général de très bonnes surprises, sauf le jour où nous avons demandé du poulet et reçu un plat d’os, de cartilage et de peau. Les Chinois en raffolent, nous un peu moins, même si la sauce était délicieuse. Nous partons donc à la recherche de quelques morceaux de viande dans tout ça et nous faisons réprimander d’abord parce que nous utilisons nos doigts, puis parce que nous tenons mal nos baguettes. Cette leçon de bonnes manières, dispensée par notre voisin de table qui passe son repas à envoyer d’énormes crachats sur le carrelage, nous déconcerte. Mise à part cette expérience culinaire déconcertante, nous sommes heureux de retrouver une grande variété d’ingrédients et de saveurs.

Camper en Chine demande de la persévérance. Il nous faut parfois un certain temps avant de trouver un espace isolé et plan. L’espace est soit bâti, soit cultivé, soit escarpé, soit hors d’accès, soit trop exposé. Mais nous parvenons à trouver quelques bivouacs sympathiques, notamment dans une plantation de canne à sucre dont les rangs nous offrent une parfaite cabine de douche. Difficile cependant d’être parfaitement isolés : il n’aura échappé à personne que les Chinois sont 1,3 milliards ; la probabilité que l’un d’eux soit proche de nous à tout instant est donc élevée. Et en effet, même lorsque nous croyons avoir trouvé la meilleure planque du monde au bout d’un chemin à la végétation si dense qu’il semble abandonné, au petit matin, une vielle dame se fraie un chemin dans les broussailles, pieds nus, sa bêche sur l’épaule. Et lorsque nous croyons que la pluie battante et la nuit nous protègent des curieux, un homme en poncho de pluie passe une tête par l’ouverture de la tente et nous aveugle de sa lampe frontale pour s’assurer que nous ayons bien mangé.

Depuis Zhuhai, où nous avons posé le pied sur le sol chinois, un tissu urbain tellement dense que nous entrons dans une ville sans avoir eu la sensation de quitter la précédente nous mène jusqu’à la région de Kaiping. Les routes et chemins, empruntés uniquement par des deux-roues y deviennent très agréables et nous conduisent entre les rizières, les élevages de canards, les étangs, les bambous, les cocotiers, les hibiscus et les bananiers. La région de Kaiping est parsemée de surprenantes tours, les diaolou, construits à la fin du XIXème et au début du XXème siècle par les émigrés de Kaiping, qui se dressent au milieu d’une campagne verdoyante. Aujourd’hui à l’abandon, ces diaolou faisaient anciennement office de forteresse pour se protéger des bandits, d’habitation et de vitrine de la richesse et de la réussite sociale de la famille à l’étranger ; en atteste un improbable mélange d’arcades à l’italienne, d’échauguettes médiévales et de coupoles mauresques.

En poursuivant notre route vers le Nord, nous traversons de nombreux villages aux habitations quasiment identiques. Composées de cubes de tailles diverses superposés, ces maisons de briques et de béton ont des fenêtres grillagées et souvent obstruées. Des inscriptions sur fond rouge encadrent le chambranle, et sur le mur face à la porte d’entrée, figé dans le temps et dans un poster, Mao veille, dans chaque maison. Les paysages changent, les industries aussi. Après les usines de découpe de bois, nous traversons une zone de carrières de marbre puis une affolante succession d’entrepôts-boutiques où sont exposées des millions de plaques de marbre sur plus de 20 kilomètres. Dans le coin, les voitures se font plus grosses, plus rutilantes, plus allemandes aussi.

A mesure de notre avancée, nous sommes témoins de l’incroyable transformation du pays. Dans les villes, poussent de nombreux immeubles d’une trentaine d’étages, flambant neufs, mais inhabités. Ces tours attendent leurs futurs occupants, dans le cadre d’un exode rural massif, plus ou moins spontané (probablement plutôt moins que plus d’ailleurs). Le but affiché est de passer de 55% aujourd’hui à 70% de taux d’urbanisation en 2030 car on attend des villes qu’elles fassent grimper la croissance et libèrent le pays des investissements. Bien que glauques et tristes à voir, ces immeubles fantômes permettent à la Chine d’éviter la case bidonvilles dans son processus d’urbanisation. Mais on ne construit pas seulement des tours vides dans les villes existantes. Le projet d’urbanisation forcenée de la Chine implique la création de villes de toutes pièces, avec des gares, des aéroports, des écoles, des hôpitaux… fantômes. Les panneaux encerclant des chantiers pharaoniques ne manquent pas de montrer à quel point dans cette future ville, on ne manquera de rien, les enfants recevront une bonne éducation et on vivra heureux et en bonne santé. Les chantiers de construction pullulent sur le territoire. Partout, on  rase des collines, on comble des vallées pour construire de nouvelles routes, de nouveaux ponts, de nouveaux échangeurs, de nouveaux ports, de nouvelles voies ferrées. L’urbanisation chinoise effrénée et tant décriée est bel et bien une réalité… assez peu réjouissante. C’est un drame humain pour les paysans qui, n’étant pas propriétaires de leurs terres, sont expulsés en un claquement de doigt et pour les ouvriers, bien souvent des travailleurs migrants qui n’ont plus accès aux services publics tels que les écoles ou les hôpitaux en dehors de leur lieu de naissance, qu’ils ont fui pour trouver du travail… Je ne parlerai même pas des atteintes à l’environnement, des terres rendues toxiques, des nuages de pollution ou des nappes phréatiques épuisées, car je vais pleurer.  L’absence de bon sens du gouvernement chinois est effarante.

Bien entendu, toutes les campagnes n’ont pas disparu et elles sont véritablement magnifiques. Les parcelles cultivées quelle que soit la topographie, les plantes exotiques et inconnues, les scènes de vie rurale, les images de travaux agricoles manuels ravissent nos yeux d’Occidentaux mais ces paysans qui triment dans leurs champs vivent-ils avec la peur d’être un jour expropriés ? Nous n’en savons rien. Nous les observons semer, arroser, bêcher, récolter, battre, exclusivement à la main.

Nous continuons de les faire rire en les saluant depuis notre vélo et ces sourires que nous récoltons nous donnent de l’entrain pour traverser des régions de plus en plus montagneuses. En effet nous arrivons dans la région de Guilin, connue pour ses nombreux pains de sucre, ces pitons de roche calcaire aux cimes ciselées qui jaillissent au milieu des campagnes verdoyantes.
La meilleure façon d’appréhender ces magnifiques paysages est paraît-il en naviguant sur la rivière Li, dont les berges sont bordées de pains de sucre. Nous sommes prêts à nous laisser tenter pour profiter d’un nouveau mode de transport et nous reposer un peu. Les prix exorbitants, les hordes bruyantes de touristes chinois déversées par des dizaines de bus climatisés, la rivière bondée de bateaux de croisière, les embarcations en bambou en réalité en plastique, le bureau d’achat des billets situé à un kilomètre de l’embarcadère (??) nous refroidissent et nous font fuir. Nous ne ferons donc pas de bateau sur la rivière Li. Qu’à cela ne tienne, nous visiterons la région à vélo (et pédalons ainsi plus de 70 km alors même que nous sommes en “journée de repos”). A quelques pas de là, la rivière Yulong, qui se jette dans la fameuse rivière Li, offre des paysages tout aussi beaux, et surtout bien plus paisibles et authentiques. Nous la longeons et sillonnons la campagne environnante entre les rizières et les vergers où poussent pamplemousses, kakis, kumquats et mandarines. Nous faisons le plein de calme et de solitude sur ces charmants sentiers où nous ne croisons que les habitants du coin.

 

Retrouvez toutes nos photos de Hong-Kong et de nos débuts en Chine continentale !

 

 

Un commentaire sur « De Hong Kong à Guilin : nos débuts en Chine »

  1. Encore un magnifique récit. Merci, merci, merci mille fois de partager votre voyage, vos coups de cœur, vos inquiétudes, vos rencontres, vos repas avec nous. Je souhaite que vous traversiez au Québec. Je vous y attends !

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