Yunnan : des montagnes à la jungle

Les sourires se font plus francs, les habitants plus chaleureux, les villages plus pauvres et délabrés, les poules, coqs, cochons, canards, vaches, chèvres en liberté plus nombreux, le climat plus tropical, les langues et les ethnies différentes, les coiffes et habits traditionnels plus colorés, les cultures en étages plus impressionnantes : nous avons l’impression d’avoir changé de pays. Mais non, nous sommes dans le Yunnan, aux portes de l’Asie du Sud-Est, aux confins de la Birmanie, du Laos et du Vietnam.

Réputée pour mettre à l’épreuve les muscles des cyclistes, la région du Yunnan n’a pas volé sa réputation ! Relief impressionnant et dénivelés positifs entre 1000 et 2000 mètres sont au menu tous les jours. Nous essayons de gérer notre effort pour pouvoir tenir le rythme de toutes les montées au programme. Nous nous habituons à avancer très lentement et à passer beaucoup, beaucoup de temps sur la selle chaque jour. Notre parade pour tromper l’ennui et l’effort : des émissions de radio. En une montée, nous pouvons écouter plusieurs heures d’émission sur des sujets aussi divers que l’industrie du sucre, la géo-ingénierie ou la génomique. Les descentes, elles, sont spectaculaires, mais bien trop courtes ; nous dévalons en moins de trente minutes ce que nous avons mis plus de cinq heures à grimper et nous doublons sans peine camions, scooters, et triporteurs qui nous ont envoyé leurs gaz d’échappement à la figure dans la montée. À plusieurs reprises, la nuit nous surprend sur des routes escarpées avant que nous n’ayons pu atteindre l’étape du jour. Un soir, n’ayant pu trouver de bivouac dans la montagne, nous cherchons à atteindre la prochaine ville alors qu’il fait déjà nuit noire. La route est dans un état lamentable mais par chance, nous réussissons à nous placer derrière un petit triporteur avec à son bord quatre cochons (et un conducteur). Ce n’est pas que l’odeur soit agréable, mais le petit engin nous ouvre la voie dans la nuit et ses dangereux mouvements de balancier (ainsi que ceux de ses pauvres occupants) nous indiquent l’état de la route. Les cochons, notre phare avant dans les mirettes, grouinent à qui mieux mieux à chaque cahot de la route.

Mais pentes ascendantes ou descendantes, nous évoluons toujours dans un somptueux décor fait de pics karstiques érodés, de vallées profondes, de montagnes, de jungles denses et luxuriantes, de cultures en étages, de minuscules villages entourés de bambous où sèchent le maïs et le café et de fleuves aussi mythiques que le Mékong. Les terrasses de différentes cultures habillent les flancs de montagnes et les vallées d’un magnifique patchwork verdoyant.

Nous pédalons au milieu des plantations de produits tropicaux cultivés dans la région : riz, canne à sucre, hévéa, bananes, ananas, piment, poivre, café, thé (notamment le célèbre thé pu’er, vert ou noir, dont les feuilles, toujours récoltées à la main, sont conservées pressées dans des moules sous forme de galettes ou de briques). Les rizières, que l’on commence à mettre en eau une fois la récolte terminée, reflètent les montagnes alentour. Des éléphants sauvages, réputés très farouches, vivent dans la région, mais nous n’aurons pas la chance d’un voir un au réveil en ouvrant la tente ! En revanche, énormes araignées, gigantesques papillons exotiques et oiseaux bariolés nous accompagnent au quotidien.

Nous nous octroyons une pause dans l’agréable ville de Kunming, chef-lieu de la province du Yunnan, ville ayant joué un rôle stratégique lors de la Seconde Guerre mondiale lorsqu’elle accueillit des réfugiés chinois fuyant l’Ouest du pays occupé par les Japonais. Pour échapper aux foules de citadins branchés arpentant les trottoirs et aux marées de scooters déferlant à chaque carrefour, nous visitons le temple Yuantong vieux de 1200 ans et déambulons dans le Parc du lac d’émeraude où des habitants pratiquent le tai-chi, dansent et jouent de la musique en groupe ou bien s’adonnent à leur gymnastique matinale (et quelque peu originale).

“Au sud des nuages”. Telle est la signification du nom de la province du Yunnan. Les paysages sont pourtant chaque jour plongés dans un épais brouillard qui ne se dissipe qu’aux alentours de midi. Nous pédalons donc parfois la tête dans les nuages.
De retour dans la zone intertropicale, nous faisons l’expérience de notre première pluie… tropicale ! Une pluie diluvienne qui nous rince en à peine dix minutes. Moralité : sous les tropiques, quand la pluie arrive, mieux vaut chercher un abri que vouloir jouer les durs à cuire…
Le cocktail pluie et descente d’une route de montagne (et un zeste de vitesse) nous vaut une grosse chute dans un virage sur l’asphalte mouillé. Heureusement, mes mains, mes genoux et mon menton amortissent le choc. Deux jours de repos s’imposent pour nous rétablir, nous remettre de notre frayeur et laisser passer la pluie.

Au Yunnan, les hôtels, qui ne coûtent déjà pas grand chose dans le reste du pays, sont encore moins chers. Pour moins de dix euros pour deux, nous nous offrons le luxe d’un lit et d’une douche. Les lits sont parfois moins confortables que nos matelas gonflables. Les douches sont dépourvues de cabines ; soit les toilettes à la turque font office d’évacuation, soit la salle de bain devient un pédiluve. Mais dans tous les cas, l’eau courante (et chaude) est bienfaisante et indispensable pour nous débarrasser des différentes couches de boue et de poussière qui se superposent petit à petit sur notre peau et nos vêtements.
En vue des nuits de bivouac, nous n’avons aucun mal à trouver de l’eau en chemin : les maisons et échoppes en bord de route sont toutes dotées de robinet en extérieur et nous trouvons régulièrement des stations de lavages pour camions équipées de grands tuyaux (ce qui donne une idée de la propreté des routes). Nous filtrons l’eau nécessaire pour boire et cuisiner, et le reste nous permet de prendre deux douches, faire la lessive et la vaisselle. On apprend vite à être économe !

À mesure que nous nous dirigeons vers le Sud du Yunnan, nous arrivons dans la région du Xishuangbanna, aux confins du Laos et de la Birmanie, l’une des régions chinoises qui comptent le plus de minorités ethniques. Ces ethnies minoritaires, c’est-à-dire les Chinois n’appartenant pas à l’ethnie des Han devenus majoritaires, représentent 8% de la population chinoise totale, 50% de la population du Yunnan et 65% de la population du Xishuangbanna. Nous croisons ainsi des Hani, les sculpteurs de montagnes à l’origine des rizières en terrasses de la région, des Naxi, les Lahu, des Jinuo, des Dai et bien d’autres encore, car si 56 nationalités minoritaires sont officiellement reconnues par la Chine, plus de 200 minorités ethniques ont en réalité été recensées dans le pays.

Chaque ethnie dispose d’une culture et de traditions propres. Nous traversons ainsi des villages totalement différents de ceux que nous avions vus jusqu’ici dans le reste du pays où les Han sont plus nombreux. Certains villages sont constitués de minuscules maisons blanches dont les murs sont peints à la chaux et les toits recouverts de tuiles grises. D’autres villages, dans l’extrême Sud du pays, chez les Dai, sont constitués de grandes maisons sur pilotis faites de bois et de tôles, le rez-de-chaussée abritant la basse-cour et traditionnellement, un métier à tisser.

Si les ethnies que nous croisions jusqu’ici se différenciaient surtout par la couleur et la façon de nouer leurs coiffes ou leurs foulards, les femmes Dai, peuple cousin germain des Thaïlandais, portent de longues jupes colorées tissées à la main, d’inspiration birmane. Des temples Dai aux toits orange hérissés de flèches d’or sculptées se dressent au détour des virages. Les dialectes se multiplient et les physionomies changent : les yeux sont plus grands, les visages plus ronds, les teints plus bruns, les cheveux plus ondulés et les sourires toujours aussi rayonnants. La magie du voyage à vélo opère : alors que nous sommes encore à plusieurs jours de route de la prochaine frontière, nous avons déjà le sentiment d’être dans un nouveau pays.

La ville de Jinghong, située sur la rive Ouest du Mékong et quadrillée d’avenues bordées de palmiers, annonce notre sortie imminente du territoire chinois. Tout ici évoque davantage le Sud-Est asiatique que la Chine. Les dorures et motifs d’éléphants et de paons sont omniprésents dans la décoration urbaine et l’architecture ; la proximité des frontières se fait fortement sentir, en attestent l’importante communauté birmane et les nombreuses ethnies qui y vivent. Avant de quitter la ville, nous faisons un détour par une école de masseurs aveugles. L’expérience n’est pas aussi relaxante que Victor l’aurait souhaitée, mais cette manipulation vigoureuse nous remet d’aplomb pour la suite du programme.

Nous nous apprêtons donc à quitter la Chine où nous avons passé presque deux mois. Nous quittons la Chine alors que nous commençons tout juste à maîtriser les idéogrammes. Si si. Hôtel s’écrit : bonhomme avec des plumes sur la tête suivi du chat à l’envers. Il y a aussi le canard sur la pagode et le sapin couché, mais nous avons oublié ce qu’ils veulent dire. Trop facile le Chinois !
Nous quittons aussi la conduite à la chinoise à laquelle nous nous étions habitués (et que Victor pratiquait) : aucune règle de priorité n’est respectée, c’est la loi du plus gros, du plus pressé, du plus téméraire, du plus culotté qui prévaut. Nous nous en sortons plutôt bien dans cette jungle de véhicules de toutes natures, où rétroviseurs et clignotants ne sont que des gadgets inutiles. Ici l’important, c’est d’avoir un gros klaxon et d’en user voire d’en abuser. Notre minuscule sonnette au doux tintement cristallin ne fait pas le poids face aux énormes “pouet” des 38 tonnes. Nous déplorons l’usage massif par une énorme majorité des conducteurs du téléphone au volant, pas seulement pour téléphoner mais pour lire des messages sur Wechat et faire défiler des pages internet. Neuf fois sur dix, un conducteur qui s’insère devant nous sans nous voir a les yeux rivés sur son smartphone. Ce mode de conduite ne nous manquera pas : mais qui sait, nous allons peut-être trouver pire.
Nous quittons également, enfin nous l’espérons de toutes nos forces, les travaux démentiels et leur cortège de camions, de routes défoncées, d’ornières, de boue, de poussière, de gravats. Quand on fait de la piste, on veut l’avoir choisi !
Nous quittons un pays où il suffit de pointer du doigt des légumes dans un réfrigérateur pour se voir apporter à table quelques minutes plus tard des aubergines à tomber par terre, des poêlées de chou aux saveurs incroyables, des soupes parfumées dont nous ne laissons pas une goutte alors qu’elles contiennent des ingrédients aussi peu sexy que la blette et le tofu.

Deux mois intenses physiquement, 3000 km d’Est en Ouest et un dénivelé positif cumulé que nous préférons ne pas connaître ; deux mois riches de paysages incroyables et de contacts chaleureux avec les locaux.
C’est dans la ville-frontière de Mohan, où nous faisons une pause (et une grande session de nettoyage-bricolage-entretien du vélo) que nous nous apprêtons à quitter l’Empire du Milieu et à rejoindre le Laos…

7 commentaires sur « Yunnan : des montagnes à la jungle »

  1. Bravo les Enfants !
    Nous avons à nouveau adoré le récit de votre périple en Chine et plus particulièrement l’histoire d es 4 petits cochons.😄
    Gros bisous à tous les 2.

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  2. Je suis une ancienne collègue d’école de Martine ! Je découvre une partie de votre périple….
    Superbe voyage que vous entreprenez là !!!!! Bravo pour ce superbe reportage !!!!
    Bonne continuation !
    Bises

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  3. Merci pour ce récit sur l’Empire du Milieu qui se situe au milieu de votre parcours !! Voilà enfin la vraie signification de « l’Empire du Milieu » ! A part ça ce n’est pas l’Empire (l’an pire) mais bien belle année que vous vivez ! Merci pour le partage que vous en faites avec un réel talent d’écrIture et des photos vraiment magnifiques ! Gros bisous

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  4. SALUT LES JEUNES AUJOURD’HUI 9/12?DEVINER QUI EST PARMI NOUS ? ET BEN C4EST VOS COUSINS FANNY ET VINCENT .ILS NOUS ONT FAIT LE PLAISIR DE VENIR DECOUVRIR LES MARCHÉS DE NOEL . ET VOUS OU SEREZ-VOUS A NOEL?ON PENSE SOUVENT A VOUS . BISES DE TOUS CINQ Y COMPRIS ROMÉO .

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