Turquie : reprise en douceur…

Après un passage au stand salvateur à Nouméa qui nous permet de passer du temps en famille et de soigner divers petits bobos, nous retrouvons notre vélo qui nous a sagement attendus pendant six semaines à Sydney chez Alexia et Pierre-Louis. 20 heures de vol, une nuit sur la moquette de l’aéroport de Doha, Erin Brockovich et Paddington 2 plus tard : arrivée à Ankara, avec tous nos bagages. Tout juste débarqués de l’avion, nous sommes embarqués dans une vive discussion avec deux compères turcs sur des sujets tels que la religion, l’histoire, la paix, la tolérance et les vins français. Chacun d’eux nous charge de transmettre un message à notre retour en France : dire à nos politiques que la Turquie doit entrer dans l’Union Européenne et demander à André-Pierre Gignac de venir jouer au foot en Turquie (à chacun ses préoccupations…). Nos tous récents amis plaident notre cause pour que le tandem soit accepté dans la navette pour la gare routière d’Ankara où nous l’abandonnons (encore une fois) à la consigne mais, bien trop grand pour les casiers munis de cadenas, il sera jalousement gardé dans la cahute du personnel. Durant le court trajet en taxi jaune qui nous conduit au centre-ville d’Ankara, à fond la caisse et à contre-sens dans les ruelles, nos bagages manquent de s’échapper du coffre que notre moustachu et irascible chauffeur n’a pas voulu fermer.
Levés aux aurores pour cause de décalage horaire, nous déjeunons d’abricots, d’olives, de pain pide et de houmous en contemplant le lever de soleil sur Ankara, ses collines environnantes s’étalant à perte de vue et son impressionnant mausolée à la mémoire d’Atatürk, fondateur et premier président de la République de Turquie en 1923. Nous sommes encore en Asie, et pourtant déjà si près de la Méditerranée… La France n’est plus qu’à un fuseau horaire de nous… Cette fois ça y est, on est sur le chemin de la maison ! (sauf qu’on n’a pas de maison, mais ça c’est un détail)

 

Une journée de bus et nous voilà dans la chaotique et vibrante Istanbul où nous retrouvons Orane et Raphaël, compagnons de voyage pour une dizaine de jours en Turquie. La conduite agressive voire dangereuse de la plupart des Turcs (en témoignent la quantité de tôle froissée circulant en ville et un taux d’accidents de la route tristement élevé) nous conforte dans notre décision (pour des raisons cependant différentes) de ne pas traverser la Turquie à vélo. De part et d’autre du détroit du Bosphore, l’ancienne Byzance et Constantinople, d’abord thrace, romaine puis ottomane, nous offre des trésors d’histoire et d’architecture. Nous admirons les belles mosaïques sur fond d’or de la basilique Sainte-Sophie (Ayasofia, signifiant sagesse divine), transformée en mosquée lors de la prise de Constantinople en 1453, puis en musée par Atatürk en 1934. Sous la magnifique coupole aux 40 fenêtres, une Vierge à l’Enfant côtoie des médaillons portant les noms d’Allah et de Mahomet. Sultanahmet Camii, la mosquée du Sultan Ahmet, plus connue sous le nom de Mosquée Bleue, est recouverte de splendides faïences à dominante bleue ; un imposant échafaudage dissimule cependant la coupole principale à nos yeux. Victor commet l’impair de laver des tomates dans la fontaine destinée aux ablutions. En revanche, nous veillons à respecter les interdits vestimentaires et comportementaux symbolisés par de petits pictogrammes ; le pictogramme « no kissing » de la Mosquée Bleue nous amuse beaucoup. Puis nous partons déambuler entre les colonnes de la Citerne Basilique, gigantesque citerne souterraine et contemplons la mosquée de Süleymanyie. Sur la rive asiatique de la ville, Sakirin Camii, première mosquée conçue et décorée par une femme, nous surprend avec son dôme en aluminium, son mihrab en forme de coquillage turquoise et son minbar en forme de toboggan.

 

Monticules d’épices, de fleurs séchées et de loukoums colorés, piles d’étoffes bariolées, montagnes de tapis, infinité de céramiques finement décorées, myriades de lampions chamarrés, avalanche d’antiquités en bronze, ribambelles de chapelets… nous nous perdons dans le Grand Bazar d’Istanbul, immense dédale de couloirs et de galeries couvertes, où un sympathique marchand de vaisselle nous invite à boire le thé.

 

C’est avec un certain soulagement que nous quittons le bouillonnement stambouliote pour la plus calme région de Cappadoce, en plein centre de l’Anatolie. Le prix à payer pour en admirer les merveilles géologiques est une terrible nuit en bus, entre chauffeurs fumeurs, bébés brailleurs, téléphones hurleurs, sièges inconfortables et néons subitement allumés en pleine nuit lors de pauses pendant lesquelles des dizaines de bus en enfilade sont nettoyés à grande eau. Rapidement, la région nous séduit et nous fait bien vite oublier les désagréments de la nuit. Une intense activité volcanique il y a de cela plusieurs millénaires, quelques glaciations et une importante érosion due au vent et à la pluie ont donné à la région sa morphologie si particulière, composée de canyons, de gorges, de pitons, de cônes, de cheminées de fées, de mesas et de plaines recouvertes de résidus volcaniques. Creusées par les communautés monastiques byzantines entre les VIIIème et XIIIème siècles, ces roches abritaient de nombreux couvents, monastères et églises rupestres dont les fresques sont encore visibles ainsi qu’une multitude d’habitations troglodytiques. La plupart de ces habitations ont été abandonnées en raison de l’érosion, mais certaines sont encore occupées, notamment par des hôtels dans les hauteurs de la ville de Göreme, tandis qu’en contrebas, entre marchands de tapis et de kebabs, le show des vendeurs de glaces bat son plein. Le magnifique canyon d’Ilhara, au fond duquel coule un ruisseau enchanteur enfoui sous la verdure, est encadré d’abruptes falaises truffées de ravissantes églises rupestres. Le château d’Uçhisar, sorte de piton rocheux culminant à 1300 mètres d’altitude, nous permet de contempler à 360 degrés les vallées constellées de cheminées de fées (ces colonnes rocheuses naturelles coiffées d’un chapeau d’une roche plus dure et plus sombre qui leur donne l’air de champignons ou de phallus géants), creusées de maisons, d’églises et de pigeonniers (on récoltait les fientes de pigeons pour en faire de l’engrais) et les pentes recouvertes de roches plissées blanches, ocres ou roses, aussi visuellement onctueuses qu’une glace italienne. Un paysage incroyable et unique qui nous absorbe de longs moments. La Cappadoce abrite également des cités souterraines telles que Derinkuyu descendant de huit étages sous la roche et qui permettaient, d’abord aux Hittites puis aux Chrétiens grecs, de s’y réfugier, parfois pendant un mois entier, afin d’échapper aux persécutions des Perses ou des Romains. Ces cités composées de pièces au plafond bas et reliées par d’étroites galeries pouvaient accueillir plusieurs milliers d’habitants et leurs animaux ainsi que servir au stockage de vivres.

 

Sirotant des thés sur des places ombragées, nous goûtons la douceur des villages où la vie s’écoule paisiblement. L’écho de l’appel du muezzin résonne tandis que les vieillards, visage taillé à la serpe, moustache dense et marcel sous leur chemise prennent le chemin de la mosquée. Les vieilles femmes, habillées de longues jupes fleuries et coiffées de fichus discutent à l’ombre des porches, écossent fèves ou haricots alors qu’une foultitude de chats, nourris et choyés par les habitants, mènent leur vie dans les rues, assiégeant les toits, les porches, les trottoirs, mettant bas dans des cartons, dormant sur des sièges de scooters, rôdant près des restaurants.

 

Nous explorons la région à pied (ou sur les fesses pour les passages les plus pentus) en crapahutant dans les rochers pour profiter des vallées aux reliefs différents (et échapper aux touristes chinois qui préfèrent rester au bord de la route). Certains préfèrent le quad ou même la montgolfière ; à défaut de monter dans l’un de ces fameux ballons, nous irons admirer leur ballet aérien au lever du soleil. Tout juste sortis du lit, la mine froissée, les cheveux gras et encore partiellement en pyjama, nous sommes éblouis par le spectacle d’une centaine d’aérostats colorés survolant Göreme qu’enveloppe progressivement la chaude lueur du levant. Autour de nous, des touristes apprêtés posent pour des clichés souvenirs réussis.

 

Nos journées sont ponctuées d’agréables moments que nous attendons avec impatience : les repas, qui sont pour nous l’occasion de goûter gözleme (sortes de très fines crêpes fourrées), cacik (yaourt au concombre et à la menthe), kebab cuits dans des amphores en terre, ratatouilles caramélisées, soupes de pois chiches, salades d’aubergines et de feta, pains pita garnis, le tout arrosé de thé, de jus d’orange frais ou de café turc plein de sucre et de marc. Ces pauses culinaires sont aussi l’occasion de pratiquer notre turc : Raphaël fait l’interprète tandis que Victor a du mal à maîtriser les deux mots et six syllabes du terrible « merci » turc qu’il transforme en une drôle de bouillie du type « tegledish ederim » ou encore «  t’as de la quiche, karim ».
Virée aux bains turcs pour Orane et moi et un certain nombre de parties de Backgammon avec des locaux pour Raphaël et Victor (ravi de s’initier au « Black Diamond »), et nous reprenons la route. De retour à Istanbul après 11 heures d’enfer nocturne à bord d’un bus, Orane et Raphaël reprennent la direction de l’aéroport tandis que Victor et moi prenons celle de la gare routière, pour une troisième nuit de bus en moins d’une semaine, direction la ville d’Éphèse. C’est la deuxième fois que le vélo et la remorque prennent le bus avec nous et nous esquivons habilement une deuxième tentative de bakchich turque.

Trois kilomètres d’un petit sentier bordé d’oliviers, de pêchers, de pruniers, de figuiers, de grenadiers et de poiriers nous conduisent vers l’ancienne cité grecque d’Éphèse où nous arrivons alourdis de plusieurs kilos d’énormes pêches qu’un couple de paysans a tenu à nous offrir au passage. Construite il y a environ 3000 ans, Éphèse, dont il ne reste que des ruines baignées par le soleil et le chant des cigales, a connu son apogée en tant que capitale de la province romaine d’Asie mineure, notamment grâce à son port, l’un des plus puissant de la mer Égée. Placée sous la protection de la déesse grecque Artémis, on peut y admirer entre autres les ruines du temple d’Hadrien dominé par la figure de Méduse, censée éloigner les mauvais esprits, la façade de la bibliothèque de Celsius, ornée de colonnes de marbre et de frises finement sculptées ainsi qu’un théâtre pouvant accueillir 25 000 personnes. Non loin de là, le temple d’Artémis, dont il ne reste pourtant que quelques ruines, est une des sept merveilles du monde antique encore visible.

 

Notre séjour en Turquie touche à sa fin ; nous engloutissons un dernier gözleme et enfourchons le tandem (qui commençait à bouder un peu) pour une vingtaine de kilomètres en direction du port de Kusadasi, station balnéaire horriblement touristique, d’où nous embarquerons pour l’île grecque de Samos. Le guidon est un peu vacillant entre les mains de Victor, nous perdons parfois l’équilibre aux feux rouges et nos fesses sont très douloureuses : deux mois de pause sont passés par là… Mais comble du comble, la tendinite au bras de Victor, causée par la gâchette des vitesses (sans rire) et que deux mois de repos n’avaient pas suffit à soigner, disparaît miraculeusement… en remontant sur le vélo. C’est ainsi que l’aventure reprend !!! C’est le retour de Martin, notre GPS préféré, dans nos vies, des bivouacs plus ou moins pittoresques, des douches froides en plein air et des conversations à base de gestes, d’onomatopées et de mots mal prononcés. C’est aussi et surtout, au grand bonheur de Victor, le retour des sourires attendris ou amusés, des mines curieuses et des regards estomaqués devant notre attelage 🙂

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3 commentaires sur « Turquie : reprise en douceur… »

  1. Toujours aussi agréable à lire.
    Un moment d’évasion très bienvenu au milieu d’une journée un peu morne.
    Bonne suite !

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  2. Mathilde tu es une agréable conteuse. Les photos sont vraiment de qualité! Vous m’avez fait saliver avec tous les mets que vous décriviez! Merci à vous deux pour ce partage. Hélène et Jean-Yves

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  3. Là lecture de vos magnifiques aventures nous manquait. Bravo et bonne route. Be safe.
    Superbes photos bien sûr. Je vous embrasse.
    Martine qui vous attend en France maintenant.

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